Lutz Jäncke, notre cerveau est-il prêt pour le monde numérique?
Internet, smartphone et réseaux sociaux ont totalement révolutionné notre monde en une vingtaine d'années. Nous téléchargeons des livres en quelques secondes et ne les lisons pas. Nous regardons des films en streaming, mais pas jusqu'à la fin. Ou encore, nous sommes sur Twitter tout en faisant défiler les commentaires sur Facebook. L'énorme masse d'informations disponibles, le bombardement permanent de stimuli suscitant le plaisir et la modification de la communication interpersonnelle: non, c'est décidément trop pour notre cerveau.
Mais ça ne peut pas faire de mal de regarder des vidéos de chats mignons de temps en temps?
Mais est-ce que j'en reste là? Ou est-ce que je continue à zapper sur mon téléphone, à lire des ragots sur Heidi Klum, à regarder un chef cuisinier, à être effrayé par un accident de la route pendant que des messages sur WhatsApp, des courriels et des likes sur Instagram apparaissent. Tout cela, alors que, en fait, je voulais remplir ma déclaration d'impôts.
Pourquoi avons-nous du mal à arrêter de faire défiler et de zapper?
Les photos aux couleurs vives, les vidéos, les gros titres: tout cela semble intéressant et attrayant pour notre cerveau. C'est dans le système limbique – une structure cérébrale très ancienne sur le plan évolutif – que nous développons ensuite des sentiments de plaisir et de bonheur. Et nous envoyons le stimuli: encore, encore! Le cortex frontal – qu'on appelle aussi le lobe frontal et qui occupe environ un tiers du volume de notre cerveau – devrait alors jouer un rôle régulateur. Mais il y a un mais: cette maîtrise de soi doit être entraînée.
«Nous sommes faits pour communiquer avec les gens, pas pour errer sur Internet sous forme d'avatars»
Quels sont les effets du bombardement numérique permanent sur les enfants et les adolescents?
Ils sont particulièrement exposés au risque de se transformer en junkie des sentiments, auquel il faut de plus en plus d’émotions. En effet, leur cortex frontal n'est pas encore entièrement développé. Les jeux vidéo, par exemple, déclenchent rapidement la sécrétion de la dopamine, l'hormone du bonheur. Mais les adolescents doivent aussi comprendre qu'il y a des domaines dans lesquels il faut patienter pour obtenir la récompense. Par exemple, pour obtenir une bonne note à l'examen, ils doivent étudier deux semaines.
Donc, ils doivent entraîner leur discipline, comme nous tous.
Oui, et ce n'est pas si simple. Prenons l'exemple de l'Internet et de l'utilisation des médias. A qui n'est-il pas arrivé de vouloir faire une recherche rapide sur Google et de regarder encore l'écran une heure plus tard? C'est parce que nous nous sommes laissé guider par nos impulsions soumises aux stimuli et que nous n'avons plus pris de décisions guidées par le cortex frontal.
Que dire du multitasking?
Notre cerveau n'est pas fait pour cela. Là encore, nous préférons nous laisser porter au lieu de nous concentrer sur les informations essentielles et d'accomplir notre véritable tâche. Dans ce cas, le mot-clé est «contrôle des stimuli»: si nous voulons liquider une tâche, il faut éliminer tous les facteurs stimulants. Bloquer les fonctions de courriel, chat et téléphone.
Les parents devraient-ils ordonner de temps en temps une détox numérique?
Je ne condamne absolument pas les moyens techniques. Le monde numérique offre de fantastiques possibilités pour l'échange de connaissances, le partage et la création de réseaux. Or, les jeunes en particulier peuvent être massivement déstabilisés par la comparaison constante avec des personnes apparemment belles et heureuses dans les médias sociaux, tout comme par les commentaires haineux, les fake news ou le cyberharcèlement. Dans ce cas, il faut maintenir la communication ouverte et convenir de moments sans consommation médiatique.
Comment la numérisation a-t-elle changé la communication?
Il faut se rappeler d'une chose: nous sommes en fait des animaux qui, au cours de l'évolution, ont appris à se parler, à communiquer. L'attachement et l'empathie naissent du contact physique direct avec les personnes. Lorsque nous faisons la connaissance d'une personne, nous essayons de lire ses expressions, ses gestes et sa voix, de comprendre ses intentions. Nous sommes faits pour communiquer avec les gens, pas pour errer sur Internet sous forme d'avatars.
Par contre, aujourd'hui, nous connaissons la signification de chaque emoji.
Et il suffit de cliquer sur le faux smiley pour provoquer une crise relationnelle. Tout comme les messages écrits à la va-vite et pleins de fautes, qui ne témoignent pas vraiment du respect de l'interlocuteur. C'est pourquoi, nous devrions formuler le message de manière à interpeller la personne de la bonne manière. Même dans les relations numériques, nous devrions toujours être conscients qu'il y a un être humain en chair et en os de l'autre côté.
10 conseils pour interagir dans le monde numérique
Dans son dernier livre «Von der Steinzeit ins Internet» (De l'Âge de pierre à Internet), Lutz Jäncke se penche sur la technologie numérique moderne et les comportements sociaux. Voici quelques-uns de ses conseils en bref.
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Réduire les stimuli
Ne vous laissez pas trop entraîner par les stimuli sur Internet. <strong>Soyez sélectifs et décidez ce que vous lirez ou regarderez</strong>.
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Ralentir est important
Ralentissez. La consommation rapide d'informations s'apparente à l'ingestion de fast food – elle offre un plaisir rapide, mais peu de valeur nutritive pour l'esprit.
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Écrire à la main
Au lieu d'écrire sur le clavier, écrivez avec un stylo ou avec le stylet sur la tablette. Les textes écrits à la main sont plus faciles à mémoriser.
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Ne pas se prendre au sérieux
Ne prenez pas au sérieux tout ce que vous voyez sur Internet et remettez en question la véracité des informations. Ignorez les «shitstorms» méprisants.
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Les émotions au second plan
Ne vous laissez pas trop guider par vos émotions lorsque vous formulez des jugements et des opinions. Échangez des avis et des points de vue avec d'autres.
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Une saine méfiance
Méfiez-vous de l'image que les gens donnent d'eux-mêmes sur Internet, par exemple sur Instagram. Les canons de beauté et les modèles de corps irréalistes peuvent avoir des effets négatifs sur les jeunes et favoriser par exemple l'anorexie.
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Une communication claire
Utilisez également un langage verbal clair dans votre communication numérique. Fournissez un effort pour être compréhensibles. -
Autodiscipline et méditation
Exercez votre autodiscipline et la pleine conscience en méditant chaque jour.
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Réserver des temps morts
Choisissez sciemment des temps morts pendant lesquels vous agissez sans le monde numérique – et profitez-en. Les expériences analogiques sont vitales pour notre corps et notre cerveau.
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Entretenir des contacts sociaux
Entretenez des contacts sociaux avec de vrais êtres humains. Développez la confiance et nouez des liens. Pourquoi ne pas quitter de temps en temps votre télétravail pour vous rendre au bureau?